Le choc a été violent, implacable. Fatal. Cherry s’effondre sur le sol comme un arbre déraciné, les yeux encore écarquillés d’étonnement. Elle a vu venir la batte vers elle, mais n’a pas pu esquisser un seul mouvement pour l’éviter. Il n’y a pas eu de ralenti, comme dans les films, ni même de longs cris de protestation… Rien que le tumulte de la bataille qui a éclaté pour une raison inconnue. Il y a quelques minutes encore, tout allait bien.
Allongée sur le sol, comme une poupée de chiffons, dans un silence immense et soudain qu’elle ne s’explique pas, Cherry ne voit plus rien. Aucun muscle ne lui répond. Ses yeux vitreux sont pourtant grands ouverts sur le vide. La partie gauche de son crâne n’est plus qu’un magma ensanglanté, bouillie répugnante d’éclats d’os, de cheveux et de sang. Rien que ce noir absolu, les battements affolés et irréguliers de son cœur, et les milliers de questions qui tourbillonnent dans sa tête. Beaucoup de pourquoi, de comment, de qui. Elle n’a même pas mal. Alors c’est ça, mourir ? Déjà ?
Doucement, la lueur ténue d’une veilleuse électrique bon marché. Elle la reconnaîtrait entre mille, cette chambre.
- Zoé ?
Elle n’entend pas sa voix, elle a pourtant dû le dire… Du moins la poupée inerte qu’elle est encore pour quelques instants. Elle se sent ici et là… Ici, la masse confuse de son corps sur le sol de terre, l’impression d’une présence à ses côtés, qui la touche peut-être, mais aussi là, dans la chambre avec ses meubles roses, le mobile avec les papillons, la petite bibliothèque de bois peint croulant sur les livres de contes, et le lit de Zoé, qui la regarde. Le petit corps chaud de Zoé, blotti sous les draps, qui la regarde et lui sourit.
- Zoé ?
C’est elle, ses boucles adorées, la poupée solaire, la perle céleste, la seule, l’unique… Sa Zoé… Alors, c’est fini ? Si elle a retrouvé Zoé, ça veut dire qu’elle a perdu… Un éclair de panique lui broie le cœur.
- FELIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIM !
La deuxième voyelle s’élève en un aigu insupportable, vrillant le crâne de ceux qui sont à portée de voix, semblant ne jamais vouloir s’arrêter, infinie douleur. Elle hurle à s’en arracher les poumons, à s’en déchirer la gorge, comme si ce cri était son seul espoir de vie, l’ultime possibilité de le retrouver encore un peu…
Elle ne s’est pas entendue. Le hurlement s’arrête comme il est venu, brusquement. Alors, elle l’a perdu… Tout ça est bien fini. Elle se tourne vers Zoé, s’assied sur le rebord du lit. Des larmes perlent à ses paupières, joie, tristesse, tout cela à la fois. On ne peut pas tout avoir, Zoé. Tu l’as toujours su, toi, pas vrai ? Une main tremblante caresse les cheveux de la petite fille. Zoé, Zoé, Zoé… Un chant s’élève, une berceuse, que la poupée de chair pas encore morte fredonne tout doucement sur le sol de la Ville Rouge, que Cherry murmure dans la chambre de Zoé. Tout se confond. Zoé parle. La mélodie s’interrompt. Encore une histoire, Zoé chérie ? La dernière, alors… Regarde, il fait déjà si noir…
- Si noir, si noir, si noir, si noir, si noir, si noir…
La lourde masse encore en vie répète inlassablement les deux derniers mots, dans un écho de cet autre part où elle se trouve aussi. Cherry fronce les sourcils. Ce n’est pas une sensation très agréable. Mon dieu, la peine immense qu’elle va faire à Felim… Où peut-il être, en ce moment ? Près d’elle ? Peut-être qu’il n’a encore rien remarqué, qu’il est perdu dans la confusion de la bataille…
- Felim…
Felim. Ils avaient des projets. Elle caresse le visage tendre de Zoé. Qu’est-ce qu’il va faire, maintenant, sans elle ? Y arrivera-t-il ? Oui, une dernière histoire, Zoé chérie… La dernière, il faut que tu dormes. Ecoute, ma princesse, écoute…
- Zoé… Laisse-moi te parler… de l’Irlande…
Après une dernière explosion furieuse de battements confus, le cœur s’arrête. La dernière étincelle du regard de la poupée aux yeux vides s’évanouit.
Allongée sur le sol, comme une poupée de chiffons, dans un silence immense et soudain qu’elle ne s’explique pas, Cherry ne voit plus rien. Aucun muscle ne lui répond. Ses yeux vitreux sont pourtant grands ouverts sur le vide. La partie gauche de son crâne n’est plus qu’un magma ensanglanté, bouillie répugnante d’éclats d’os, de cheveux et de sang. Rien que ce noir absolu, les battements affolés et irréguliers de son cœur, et les milliers de questions qui tourbillonnent dans sa tête. Beaucoup de pourquoi, de comment, de qui. Elle n’a même pas mal. Alors c’est ça, mourir ? Déjà ?
Doucement, la lueur ténue d’une veilleuse électrique bon marché. Elle la reconnaîtrait entre mille, cette chambre.
- Zoé ?
Elle n’entend pas sa voix, elle a pourtant dû le dire… Du moins la poupée inerte qu’elle est encore pour quelques instants. Elle se sent ici et là… Ici, la masse confuse de son corps sur le sol de terre, l’impression d’une présence à ses côtés, qui la touche peut-être, mais aussi là, dans la chambre avec ses meubles roses, le mobile avec les papillons, la petite bibliothèque de bois peint croulant sur les livres de contes, et le lit de Zoé, qui la regarde. Le petit corps chaud de Zoé, blotti sous les draps, qui la regarde et lui sourit.
- Zoé ?
C’est elle, ses boucles adorées, la poupée solaire, la perle céleste, la seule, l’unique… Sa Zoé… Alors, c’est fini ? Si elle a retrouvé Zoé, ça veut dire qu’elle a perdu… Un éclair de panique lui broie le cœur.
- FELIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIM !
La deuxième voyelle s’élève en un aigu insupportable, vrillant le crâne de ceux qui sont à portée de voix, semblant ne jamais vouloir s’arrêter, infinie douleur. Elle hurle à s’en arracher les poumons, à s’en déchirer la gorge, comme si ce cri était son seul espoir de vie, l’ultime possibilité de le retrouver encore un peu…
Elle ne s’est pas entendue. Le hurlement s’arrête comme il est venu, brusquement. Alors, elle l’a perdu… Tout ça est bien fini. Elle se tourne vers Zoé, s’assied sur le rebord du lit. Des larmes perlent à ses paupières, joie, tristesse, tout cela à la fois. On ne peut pas tout avoir, Zoé. Tu l’as toujours su, toi, pas vrai ? Une main tremblante caresse les cheveux de la petite fille. Zoé, Zoé, Zoé… Un chant s’élève, une berceuse, que la poupée de chair pas encore morte fredonne tout doucement sur le sol de la Ville Rouge, que Cherry murmure dans la chambre de Zoé. Tout se confond. Zoé parle. La mélodie s’interrompt. Encore une histoire, Zoé chérie ? La dernière, alors… Regarde, il fait déjà si noir…
- Si noir, si noir, si noir, si noir, si noir, si noir…
La lourde masse encore en vie répète inlassablement les deux derniers mots, dans un écho de cet autre part où elle se trouve aussi. Cherry fronce les sourcils. Ce n’est pas une sensation très agréable. Mon dieu, la peine immense qu’elle va faire à Felim… Où peut-il être, en ce moment ? Près d’elle ? Peut-être qu’il n’a encore rien remarqué, qu’il est perdu dans la confusion de la bataille…
- Felim…
Felim. Ils avaient des projets. Elle caresse le visage tendre de Zoé. Qu’est-ce qu’il va faire, maintenant, sans elle ? Y arrivera-t-il ? Oui, une dernière histoire, Zoé chérie… La dernière, il faut que tu dormes. Ecoute, ma princesse, écoute…
- Zoé… Laisse-moi te parler… de l’Irlande…
Après une dernière explosion furieuse de battements confus, le cœur s’arrête. La dernière étincelle du regard de la poupée aux yeux vides s’évanouit.