Retour aux sources

Elle n’avait pas du tout sommeil. Elle ne dormirait de toute façon que très peu : dans quelques courtes heures, elle se réveillerait avec la gorge sèche comme le désert, l’impression de déborder d’énergie et la tête comme un tonneau. Dormir avec quelqu’un d’autre était encore inattendu ce matin. C’était même hors de question. Elle ne s’était même pas laissée aller à penser que peut-être, éventuellement, un jour… Ce matin encore, Cherry était un non catégorique. Ce soir, elle se blottissait un peu plus contre Felim, pour ne rien perdre de l’odeur de sa peau.

C’était une gourdasse sans aucune volonté, sans amour-propre, sans orgueil.

La petite voix glacée fit malicieusement ces constatations à son oreille, se moquant d’elle. Ce matin, elle était digne et campait fermement sur ses positions. Au premier amoureux potentiel qui passe, elle flanchait. Elle avait beau se répéter que Felim n’était pas n’importe quel amoureux, qu’il était peut-être un peu différent des autres, mais cela ne suffisait pas à la convaincre.

- Je ne sais pas ce que tu as fait de moi, murmura-t-elle après quelques minutes de silence, sans même vérifier s’il s’était assoupi. Mais je croyais avoir une volonté de fer jusqu’à tout à l’heure. Je ne suis que de la pâte à modeler entre tes doigts. J’espère au moins que tu as honte.

Sa voix trahissait son sourire.

Il la serra un peu plus contre lui, comme pour la rassurer, ou la protéger, ou les deux peut-être...

J'aurai honte si tu étais malheureuse ou si je t'avais blessé sans faire exprès. J'ose espérer que ce n'est pas le cas.

Tu n'es pas un bloc de marbre. Malgré tout ce que tu as traversé, tu restes une femme, avec un coeur. Enfoui sous une carapace en béton armé, mais il est bien là. Et tu auras beau faire, tu ne pourras pas lutter contre tes émotions. C'est humain Cherry.

Et niveau pâte à modeler, je pourrai en dire la même chose tu sais !

- Toi ? En pâte à modeler ! Ha ! Mon plan démoniaque a fonctionné ! Je tiens le diplomate de la Ville Rouge entre mes griffes ! A moi, le pouvoir et les hommes faciles !

Sa main vint se poser sur sa joue.

- Dès que j’aurai honteusement obtenu ce que je veux de toi, je te ferai jeter au cachot. Oh… On a un cachot, au moins ? Non ? Bon, je ferai d’abord construire un cachot. Dans les marais. Tu mourras bouffé par les moustiques, et moi je serai couverte d’or et de diamants, entourée de jeunes hommes nus. Rappelle-moi de chercher des mines d’or et de diamants.

Le ton changea, et c’est d’une voix moins assurée qu’elle demanda soudain :

- Tu ne partiras pas sans me le dire, demain, d’accord ?

En voilà un bien charmant programme que tu me réserves là ! J'informerai Burt de ne surtout pas écouter tes suggestions de constructions, ah ah !

Il l'embrassa tendrement avant de reprendre :

Je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas mis dehors, ça te va comme ça ? Ca mettra peut-être en péril ma mission de diplomate, je compte sur toi pour ne pas séquestrer trop longtemps tout de même!

Elle regrettait déjà de lui avoir demandé. Elle aurait voulu ne jamais rien avoir à lui demander, et encore moins de ce ton de petite fille abandonnée. Elle ne voulait pas faire de caprices.

- Pas de problème. Je te vire dès que j’ouvre un œil, en caleçon en pleine rue ! Je te ferai parvenir tes effets personnels par coursier.

Elle commençait à s’engourdir. Plus la peine de railler et de batailler, elle était vaincue pour ce soir. Ses yeux se fermèrent tandis qu’elle se calait plus confortablement entre les bras de Felim.

Bonne nuit, milis Cherry...

Un dernier baiser sur le front, et Felim sombra à son tour, heureux de partager sa nuit avec celle qu'il aimait tant...