Comme un air de country

Elle embrassa son front baigné de sueur avant de se détacher de lui et de se laisser tomber à ses côtés. Sa tête reposait sur son torse, que ses cils effleuraient à rythme régulier. Ses doigts vagabondaient sur le corps du pianiste, comme libres de leur mouvement.

Andras... Comment fais-tu pour... Pour t'adapter si bien à ce que je suis ?

Il l'étonnait à chaque fois. Quand elle pensait qu'il craquerait, il se faisait sûr de lui et prêt à répondre à ses envies. Elle voulait percer son secret, comprendre ce qu'il cachait, son fonctionnement, ses pensées, ses désirs. Pour l'emprisonner à tout jamais à elle.

Il ne lui répondit pas tout de suite. Il avait l'impression d'avoir été broyé puis reconstruit à la hâte, et chaque parcelle de son corps vibrait encore de ce qu'elle lui avait offert. Soulever un bras pour étreindre Isaure lui paraissait insurmontable. Il ne pouvait que rester là, pantelant, déjà un peu somnolent.

- Je ne sais pas, Isaure. C'est dans tes yeux. Tu n'as pas le même regard.

Il souleva ses paupières lourdes, et lui sourit, un peu penaud. C'était une expression qui ne lui ressemblait pas. Il s'en voulait d'avoir agi comme une brute, tout en sentant que c'était ce dont elle avait eu besoin. Encore une fois, les excuses qu'il s'était promis de formuler ne franchirent pas le seuil de ses lèvres.

Il reprit donc le dessus rapidement, et son expression de sérieux un brin arrogant s'afficha à nouveau, seulement troublée par la tendresse qu'on pouvait lire dans son regard.

La jeune femme déposa un nouveau baiser sur son torse avant de s'assoir. Ses mains fines déliaient les lacets de son corsage, libérant enfin sa poitrine trop serrée. Ses jolis seins ronds pointaient avec orgueil, comme fiers de leur tenue et de leur effet. Dans un murmure, elle lui répondit, son visage penché sur le vêtement souillé.

Beaucoup ont vu mon regard. Mais personne ne l'a si bien comprit que toi. C'en est presque effrayant.

Il posa une main lourde sur son dos, en une caresse maladroite.

- Je vais encore faire une comparaison qui ne va pas te plaire, mais je suis pianiste. C'est la première qui me vient à l'esprit.

Il sourit encore, lui caressa la nuque.

- Tout le monde voit le même clavier, sur le piano. Tout le monde n'en joue pas de la même manière. Le simple regard ne dit presque rien, c'est la compréhension qu'il y a... Et ça, ça ne peut pas s'expliquer. Parfois, les touches semblent parler à certains. D'autres ne pourront que répéter les partitions qu'ils ont étudiées.

L'idée lui parlait, et il espéra qu'elle ne s'offusquerait pas encore d'être comparée à un piano.

- On peut dire que je compose avec toi... Zongoram...

Elle se tourna pour lui sourire, étrangement calme après le feu qui les avait dévoré.

Tu ne connais donc que le piano ?

La danseuse posa sa main sur la cuisse de son amant, en soupirant légèrement. Qu'espérait-elle au fond ? Elle-même ne vivait que pour danser, et tous les artistes qu'elle avait connu n'existaient que dans leur passion. Même si Andras était différent, il restait un artiste...

Il corrigea avec un sourire en coin.

- Je ne connaissais que le piano...

Il posa sa main sur la sienne, et la serra légèrement. Il avait grandi avec ce seul objectif, refusant de s'attarder sur le reste. Les premières expériences de sexe, d'alcool ou de drogues étaient intimement liées à des compositions de piano. A certains pleurs de violons, pour Erzsébet. Rien d'inoubliable. Rien qui vaille qu'on délaisse une valse de Chopin.

Et je ne suis pas sûre de te faire découvrir les meilleures choses.

Elle s'était relevée pour ôter sa jupe, divinement sensuelle. La pénombre semblait jouer sur ses courbes, sublimant son corps de danseuse.

Peut-être que cela aurait mieux valu pour toi que tu en restes à ta musique. Peut-être...

- Meglatjuk. Trop tard pour reculer. Je ne reviens jamais sur une décision.

Il l'observait les yeux mi-clos, détaillant les jeux de lumière ténue sur sa peau. Elle était splendide, et le savait trop bien. S'il n'y avait eu que ce corps parfait, il serait sans doute parvenu à se détourner d'elle. Mais il y avait tellement plus que ça...

Il y avait quelque chose en elle qui le complétait, et s'il ne savait pas encore ce dont il s'agissait, il avait pleinement conscience de ne plus pouvoir s'en passer.

- Regretterais-tu déjà ma présence, Isaure?

Non.

La réponse avait au moins le mérite d'être directe et franche, bien que courte. Elle passa une robe légère, quasi transparente, et revint près de lui.

J'ai seulement peur de t'entrainer sur une pente que je ne contrôlerai pas. Que nous ne contrôlerons pas.

C'était la première fois que la danseuse utilisait le "nous" autrement pour parler de survie ou du groupe. Ces quatre lettres avaient résonné étrangement dans sa bouche, sans qu'elle ne s'en rendit compte...

- On ne peut pas toujours tout contrôler. Nous verrons.

La perspective n'avait pas l'air de l'effrayer, en tout cas. Quelle que soit cette pente, elle vaudrait mieux qu'une vie sans elle.

Il se tourna péniblement vers elle. Son corps pesait trop lourd, et il luttait pour ne pas s'endormir, ce qui aurait été fort inconvenant. La galanterie voulait qu'il assure au moins une brève conversation en repoussant ses bas instincts masculins qui l'imploraient de simplement fermer les yeux et de se laisser aller.

Elle lui caressa les cheveux, dans un geste presque maternel, et se pencha sur lui pour déposer un énième baiser au coin de ses lèvres.

Tu as raison.

La jeune femme se releva et se dirigea vers l'entrée de la tente, en lui soufflant :

Dors. Je ne me sauverai pas.

Isaure disparut à l'extérieur, sous les étoiles.