Another day in Paradise

Zoé leva des yeux interrogateurs vers sa mère, qui acquiesça. D’une main leste, elle attrapa la fleur, et la serra contre elle sans dire un mot. Le premier contact s’était plutôt bien passé. Elle observa encore Felim en silence pendant quelques secondes, silence que Cherry n’osait pas troubler. Si elle avait cru, un jour, voir ces deux êtres réunis… L’instant avait quelque chose de magique.

Soudain, comme si c’était la conclusion logique de sa longue réflexion, Zoé tendit la main vers la cicatrice sur le visage de l’irlandais. Elle gazouilla de sa voix flûtée:

- T’as fait quoi à ton œil ? Il est cassé ?

Son oeil ? Il n'y pensait jamais, même Cherry ne lui avait jamais posé la question. Il réfléchit quelques secondes, se demandant comment tourner la vérité pour un enfant si jeune...

Humm... Je me suis battu contre un gros dragon tout rouge. Il embêtait une dame, alors je l'ai empêché et nous nous sommes un peu bagarré. Une de ses longues griffes a touché mon oeil et ça a laissé une marque. Mais après le dragon est parti, la dame était contente et moi je n'ai eu qu'un petit bobo.

Il posa un bref instant son regard sur Cherry, l'interrogeant du regard, cherchant à savoir s'il s'y prenait bien...

Zoé réfléchit quelques instants, son front plissé par la concentration, puis parut décider que l’explication lui convenait. En plus, ça signifiait que ce monsieur était un gentil, ce qui tombait plutôt bien puisqu’elle n’aimait pas du tout les méchants. Elle lui sourit donc de toutes ses dents, avant de tourner les talons à nouveau et de partir jouer sous les arbres.

Cherry reporta alors son attention sur Felim, amusée.

- Un dragon, hein ? Tu m’avais caché ça… Tu es un homme plein de surprises ! Et c'était qui, cette gente demoiselle en détresse?

Il regarda Zoé s'éloigner avec un sourire avant de se tourner vers Cherry...

La vérité est bien moins chevaleresque, tu vas être déçue je te préviens... C'était il y a longtemps... J'avais une amie d'école, que j'aimais bien. L'un de mes frères l'appréciait aussi, beaucoup... Un soir au pub avec les camarades de l'Oglaigh, la Guiness a coulé à flot et mon frère a commencé à draguer mon amie. Ca a vite dégénéré quand elle l'a repoussé...

J'ai tenté de le raisonner, mais il ne voulait rien entendre. Alors nous nous sommes battus, jusqu'à ce qu'il sorte son couteau pour me faire peur. Mais ces gestes étaient tellement imprécis du fait de l'alcool qu'il m'a blessé au visage...

Il porta la main à son visage et tâta la cicatrice en souriant légèrement...

- Quand je pense que je n’avais même jamais songé à te le demander… Rappelle-moi de ne jamais te servir de Guiness, au fait. Apparemment c’est un truc dangereux !

Elle s’accrocha à lui à nouveau, embrassant la cicatrice, puis sa bouche. Il y avait tellement de choses qu’elle ne lui avait jamais demandées ! Elle avait pensé qu’elle avait tout le temps de le cuisiner. Le temps, c’est sûr qu’elle n’en manquerait plus, à présent. Quel gâchis ç’aurait été s’il ne l’avait pas rejointe… Quel épouvantable gâchis. Elle n’aurait jamais pu se le pardonner.

- Je ne sais pas grand-chose de toi, pas vrai ? Je ne t’ai jamais rien demandé…

Et bien, que veux tu savoir ? Nous avons le temps, maintenant...

Il l'embrassa avec un mélange d'ardeur et de tendresse, prenant garde de maîtriser ses gestes pour ne pas choquer la petite Zoé au loin...

Inspecteur Cherry, je suis prêt pour l'interrogatoire !

Elle s’installa confortablement sur l’herbe tendre, surveillant Zoé de loin. Que voulait-elle savoir… Tout, bien sûr, mais c’était un peu vaste. Par quoi commencer ? Elle dévisagea Felim, les yeux brillants. Plus rien ne les séparerait. Il n’y avait plus rien à craindre.

- Je ne sais pas ce que je veux savoir. Je sais l’essentiel. Je sais que tu m’aimes. Le reste, ça viendra. Tu me feras un résumé avant de me faire visiter l’Irlande qui se cache sûrement derrière une de ces portes, histoire que je n’aie pas l’air d’une parfaite idiote tout de même.

Tu sais en Irlande, il n'y a pas d'idiots, à part les anglais !

Il se mit à rire avant de reprendre :

Nous sommes plutôt accueillants et chaleureux en fait, nous aimons faire la fête, nous retrouver le soir, et la famille et les amis sont les deux choses les plus importantes !

Tu vois mon frère, malgré ce qu'il m'a fait, je ne lui en ai jamais voulu. L'union, c'était notre règle !

Il s'allongea dans l'herbe, avec un air un peu rêveur.

Je suis le dernier d'une famille de 7 enfants. J'ai 4 frères et 2 soeurs. Des jumelles. Aoife et Roisin. Deux jolies petites rousses qui affolaient tous les garçons du quartier !

Cela lui paraissait presque difficile, de devoir apprivoiser cette histoire, alors qu’auparavant ils étaient seuls au monde. Maintenant ils avaient une famille, des amis, qui les attendaient derrière ces portes. Elle cala son menton dans le creux de sa main. Elle n’avait jamais espéré les revoir… et ne se sentait pas encore prête à l’accepter. Elle avait besoin de profiter de cette bulle hors du monde, hors de tous les mondes, rien qu’avec Felim et Zoé. Quatre frères et deux sœurs ! Seigneur, quelle famille !

- Sept enfants… C’est incroyable. Ta mère a bien du courage ! Je parie que vous l’avez rendue à moitié folle ! Avec moi seule, j’avais déjà l’impression de faire vivre l’enfer à mes parents, alors sept ! Je n’ose même pas imaginer !

On était assez turbulents, c'est vrai, mais notre mère était un ange de patience et d'amour ! Et puis avec l'âge, on était la plupart du temps dans l'Oglaigh, alors on la laissait tranquille même si elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à nous !

Dis moi...

Comment Cherry va m'appeler ? Felim ça fait un peu... froid je trouve. Monsieur encore pire !

Tonton ? Ou copain ?

Elle éclata brusquement de rire. La question la prenait totalement au dépourvu. Et pour cause : comment aurait-elle pu seulement imaginer qu’elle se retrouverait un jour dans cette situation ? Elle était radieuse.

- Zoé, elle s’appelle Zoé… Ne commence pas à nous confondre ! Comment elle va t’appeler… Tonton c’est vraiment trop moche, hors de question. Si tu ne veux pas de Felim… Je n’en sais rien, moi. On te trouvera bien quelque chose !

Elle suivait avec bonheur les déplacements de Zoé qui gambadait sous les arbres. Le moindre de ses pas était un véritable ravissement. Comment appeler Felim ? Zoé avait un père, et même si Cherry le déplorait, personne ne pourrait lui reprendre ce titre. Alors quoi ? Elle parcourut des yeux le visage de Felim, cherchant un indice. Il allait bien falloir se décider, sans quoi Zoé le gratifierait d’un surnom tout à fait ridicule. Il deviendrait un petit poney sans avoir le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Elle dit la première chose qui lui passa par la tête, histoire d’éviter ce désastre.

- Elle n’a qu’à t’appeler… Cœur. C’est affreusement guimauve, alors j’attends ton idée, sinon tu es foutu.

Paddy.

Il avait lâché le mot comme ça, un peu comme une évidence. Il trouvait que ça sonnait bien et puis ce mot avait une telle signification...

T'en penses quoi ? C'est de l'irlandais. Et c'est facile à prononcer.

- Paddy. On dirait le nom d’un ours en peluche tout mignon. Adopté, Paddy !

Elle ferma les yeux, profitant de la caresse du soleil.

- Et ça veut dire quoi, exactement ?

Tu es bien curieuse !

Felim ferma les yeux et caressa d'une main le bas du dos de la jeune femme.

C'est un terme d'argot, pour désigner un irlandais. Avec le temps, c'est entré dans le langage courant... Et il y a les "plastic paddies", ce sont des irlandais d'origine étrangère, souvent britanniques...

C'est un mot que j'aime bien, parce qu'il est dans ma langue et qu'il me rappelle des souvenirs. Tu crois que je pourrai apprendre le gaélique à Zoé ?

- Tu essayeras de lui apprendre tout ce que tu veux, mais je ne garantis pas qu’elle t’écoute. La demoiselle est capricieuse et a la capacité de concentration d’un poisson rouge. Elle préfère de loin courir derrière les papillons et écouter des histoires de dragons.

Et bien je lui raconterai en gaélique s'il le faut !

Tiens je vais t'apprendre une phrase : tá grá agam duit. Si tu arrives à la répéter correctement, je suis à toi pour l'éternité !

Il rigola doucement et rouvrit les yeux pour la regarder. Vue d'en bas, elle était une cascade de cheveux dorés que les rayons du soleil sublimaient, la ligne de sa mâchoire est délicate et la peau de son cou absolument délicieuse...

- Tu m’appartiens DEJA pour l’éternité. Je ne vois pas pourquoi je me fatiguerais. De toute façon, je suis complètement nulle en langues étrangères.

Elle souleva une paupière paresseuse, et croisa son regard. Son sourire s’épanouit plus largement encore.

- Ceci dit, tu m’avais promis l’enfer. Je suis très déçue. Tu n’es pas un homme fiable.

Ah Madame veut l'enfer ? Très bien !

D'un bond, Felim se releva.

Tu vois ce corps parfait ? Ces lèvres délicates ? Cette peau fine ? Hé bien plus jamais tu n'y auras le droit. Tu ne pourras que me voir sans pouvoir me toucher ! Ah ah !

L'irlandais arborait un sourire en coin, visiblement très fier de sa trouvaille...

Elle n’ouvrit pas les yeux, mais sourit à son tour.

- Eh bien regarde-moi bien, parce que tu te condamnes à plonger dans l’enfer en même temps que moi. On t’a déjà dit qu’une femme supportait beaucoup mieux la privation qu’un homme ? J’ai déjà vécu des années sans sexe, mon petit Felim. Est-ce ton cas ?

La situation avait l’air de l’amuser énormément.

Bah...

Il haussa les épaules nonchalamment.

Des années, non, mais des mois oui. Rabat-joie va !

Il se rassit à quelques mètres de là, l'air boudeur...

Elle éclata de rire.

- Des mois ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Des mois ! Allons, Monsieur Clancy, avoue… Des mois, ce n’est pas crédible… Personne n’aurait pu résister à ton charme aussi longtemps… A moins que tu n’aies été enfermé dans un environnement exclusivement masculin ?

Elle le parcourait des yeux avec gourmandise, rêveuse.

- Qui aurait pu pendant des mois se priver du contact de ta peau ? Qui aurait pu résister à ta bouche ? Qui serait suffisamment fort en ce monde pour refuser de sentir ton souffle chaud au creux de son cou tandis que vos deux corps essoufflés, enlacés, atteignent peu à peu l’extase ?

Felim posa sur Cherry un regard un peu vexé.

Ce n'est pas parce que je sais parler aux femmes que je couche avec la première venue !

Il détourna la tête et fixa un point quelconque à l'horizon.

Déjà, l'Oglaigh est composé principalement d'hommes. J'avais bien assez à faire pendant que j'organisais les missions pour aller voir quelqu'un. Et puis... Il y a eu une fille. Je l'ai connu à l'université, pendant ma première année. Elle était charmante. Nous sommes sortis ensemble et je lui ai fais l'amour. Jusqu'à ce que je découvre que son père était un putain d'anglais ! Tu imagines ? Elle était anglaise ! Son grand-père a combattu le mien, quelle horreur...

Je me sentais tellement sale et humilié que je n'ai plus toucher une femme pendant presque un an. Et la suivante n'a guère été ravie, je ne pouvais oublier ce que j'avais fait. Et j'ai été un bien piètre amant.

Alors non, tu vois, je ne pense pas qu'avec mon entrejambe...

Son sourire s’était légèrement affaissé en l’écoutant. C’est qu’il était bien susceptible, parfois…

- Je n’ai jamais fait de recherches généalogiques, mais j’espère pour moi que je n’ai aucun ancêtre anglais, sinon tu vas disparaître dans un grand« plop », et je n’aurai plus que mes yeux pour pleurer.

Elle se glissa jusqu’à lui et vint se couler dans ses bras, soudainement câline.

- Je te taquinais… Je ne te prends pas pour une grosse hormone, contrairement à ce que tu peux penser. J’imaginais juste qu’avec ton incroyable sex-appeal et les centaines de propositions de filles alanguies qui devaient t’attendre devant ta porte, tu n’avais pas pu trouver le temps de méditer, c’est tout.

Il y a bien que toi pour me trouver du sex-appeal très chère !

Il la laissa se lover contre lui, heureux du contact.

Bon, on oublie l'enfer alors ?

Felim lui prit une des mains et la porta à sa bouche, embrassant lentement chacun des doigts. Il avait cru ce bonheur perdu à jamais, et maintenant qu'il était là, il n'y croyait pas encore tout à fait. Il lui faudrait sans doute encore un peu de temps pour l'accepter...

- On oublie l'enfer. De toute façon, c'est un concept totalement dépassé.

Tout était absolument parfait. La caresse du soleil, les bruits de Zoé jouant sous les arbres, le corps de Felim contre le sien. Elle se sentait plus heureuse qu'elle ne l'avait été, plus heureuse qu'elle n'aurait jamais pu l'être. Il n'y avait plus aucun obstacle. Cherry s'abandonne entièrement avec un soupir de béatitude.

Zoé revint vers eux en cavalant, avant de s'arrêter net, son front plissé par la réflexion. Une nouvelle question venait visiblement de lui traverser l'esprit, et elle brûlait de la poser. Elle posa son regard pailleté d'or sur Felim et Cherry, allant de l'un à l'autre.

- T'es qui, toi?