Another day in Paradise

La question de Zoé amusa Felim mais l'irlandais se demandait bien comment il pourrait y répondre...

Je suis... Je suis le prince charmant de ta maman ! Bon, je n'ai pas de cheval blanc ni de couronne ou d'épée, je les ai perdu, mais je suis charmant quand même !

N'est ce pas Cherry ?

Si elle ne l'appuyait pas, la petite le prendait surement pour un fou. Peut-être que Zoé lui en voudrait de prendre une place dans le coeur de sa mère. Allez savoir ce que pensent les enfants !

Cherry sentait venir l'orage, et si elle acquiesça, ce ne fut que machinalement. Elle avait déjà ouvert la bouche pour répondre quand le cri de Zoé la planta sur place.

- J'veux pas!

Cherry n'eut pas l'air surprise, et alla ceinturer immédiatement la petite fille qui semblait prête à les couvrir de coups. Les mots de réconfort s'échappaient à flot de ses lèvres comme une mélopée, et il ne fallut que quelques minutes pour la calmer.

- Ce n'est pas la même chose, Zoé...
- Tu dis toujours que ça va bien aller, et ça va jamais bien!
- Zoé, ce n'est pas pareil!
- Si!

Cherry fit pivoter le menton de la petite fille vers elle, et l'obligea à la regarder. L'air de béatitude qui la nimbait il y avait encore quelques minutes s'était effacé au profit d'un sérieux presque douloureux.

- Ca n'arrivera plus jamais, Zoé. Alors cesse d'être méchante tout de suite. Ce n'est vraiment pas gentil pour Felim.
- Tu dis toujours que ça arrivera plus! Et puis ça recommence quand même, mais moi je veux plus qu'on te frappe!
- Personne ne va me frapper. Ca suffit, maintenant. Ce n'est pas ton père, Zoé.

Elle ne répondit rien, et se plongea dans un silence boudeur. Cherry la lâcha également, contrariée. Elle se doutait qu'il faudrait du temps et que la petite fille résisterait, mais n'avait pas envisagé la violence de sa réaction. Elle attrapa la main de Felim, et la serra.

- Il va falloir un peu de temps.

Felim avait suivi l'altercation avec surprise. Il était loin de se douter qu'un enfant pouvait contenir tant de rancoeur et de crainte mêlée. Devant l'air contrarié des deux demoiselles, le jeune homme s'agenouilla face à Zoé et tenta de la calmer d'une voix douce :

Ecoutes moi Zoé. Tu es une grande fille non ? Alors je vais te dire la vérité, parce que tu n'es pas un bébé. J'aime beaucoup beaucoup ta maman.

Tu te souviens quand je t'ai parlé du dragon ? Et bien c'est pareil, si un dragon t'embête ou embête ta maman, je vous protégerai. Parce que je n'ai pas envie qu'on vous fasse du mal. Jamais.

Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais je te promets que personne ne vous embêtera ! Et un chevalier ne ment jamais tu sais !

Le sourire reconnaissant de Cherry était déjà réjouissant en soi, mais le regard de Zoé le fut encore plus. Dévisageant cet inconnu en le défiant presque, elle s'apaisa au fur et à mesure de ces paroles, jusqu'à presque en faire disparaître les doutes. De la pointe du pied, elle dessinait des arabesques sur le sol, les mains croisées dans le dos.

C'est vrai que c'était censé être un gentil, mais parfois les dragons avaient de drôles de costumes et des sortilèges pour faire croire toutes sortes de choses aux gens.

Elle pointa un index menaçant sur Felim en guise de dernier avertissement.

- Et puis de toute façon, si tu fais mal à ma maman, je vais te tuer avec un grand couteau!

Les choses étant parfaitement claires, elle repartit en courant. Cherry était bouche bée, les mains sur les hanches. La première stupeur passée, elle réussit à dire:

- Je t'assure que je ne l'ai pas élevée comme ça!

Et bien... Elle ne manque pas de caractère !

L'irlandais se rapprocha de Cherry pour l'embrasser au coin des lèvres.

Comme sa mère !

Il regarda la fillette jouer avant de reporter son attention sur Cherry.

Je crois que l'éternité ne sera pas de trop pour l'apprivoiser. Ce n'est un dîner aux chandelles et quelques fleurs qui me la gagneront !

- Je suis sincèrement désolée... Je croyais que... Enfin je ne savais pas qu'elle... Bon sang, mais qu'est-ce qu'il a bien pu lui faire?

Cherry était tout simplement abasourdie. Elle s'était imaginé un tableau idyllique et réjouissant, Felim, Zoé et elle, sans jamais se poser davantage de questions. Bien sûr, elle savait qu'il faudrait un certain temps d'adaptation, mais de là à lire une telle violence dans ses yeux... Elle se sentit obligée de justifier le comportement de sa fille, pour ne pas que Felim la prenne pour une mioche insupportable.

- Elle s'est ensanglanté les mains un jour où elle était enfermée dans sa chambre alors que... Alors qu'il me tapait dessus, en gros, je ne vais pas commencer à faire des détours. Il lui en reste quelques cicatrices sur la paume droite. Mais en-dehors de ça, elle adorait son père, elle n'avait pas l'air du tout d'en avoir peur, et je ne l'avais jamais entendue parler comme ça... Surtout pas sur ce ton. Je lui parlerai encore, un peu plus tard.

Elle se serra contre lui, confuse et contrariée. Zoé était loin d'être une petite fille modèle.

T'en fais pas, c'est pas bien grave...

Il lui fit son plus beau sourire et l'embrassa sur le front. Il n'y connaissait rien aux enfants, mais supposait que l'attitude de Zoé était normale, après ce qu'elle avait connu...

Elle ne me connait pas, et je débarque alors qu'elle t'a à peine retrouvée. Ca ne doit pas être facile pour elle.

Soudain, un long coassement perça l'air.

Maorga !

Felim tendit le bras et le corbeau se posa sur son épaule. Il semblait encore plus grand et plus majestueux qu'avant, et son plumage blanc était des plus éclatants...

Cherry n'avait décidément pas fini d'être surprise par cette journée. Comment était-ce possible? Est-ce qu'un oiseau pouvait se suicider? Il avait été victime d'une balle perdue? Décidément, elle avait eu raison: ils allaient rapidement être surpeuplés, ici.

- C'est incroyable... Absolument hallucinant...

Elle contemplait l'oiseau avec des yeux ronds, sa main toujours posée dans le dos de Felim. Maorga était tout simplement éblouissant. Zoé s'était à nouveau rapprochée, une expression de ravissement sur le visage. Sa méfiance envers Felim ne s'étendait apparemment pas à l'oiseau.

La mâchoire inférieure de Zoé était tombée de stupéfaction, et elle contempla tout le spectacle bouche bée. Cherry partageait son attention entre la réaction de sa fille, le vol de Maorga, et le visage apaisé de Felim.

Quand enfin l'oiseau se posa sur l'épaule de son maître, la petite fille se mit à applaudir en riant. Cherry sourit.

- Il manquait encore Maorga... Le mal est réparé. Je pense pouvoir dire que nous sommes au complet.

Felim répondit par un sourire à Chery avant de s'agenouiller face à Zoé. Maorga contemplait la fillette de ses yeux rouges, impassible.

Tu veux le toucher ? Il ne te fera rien.