Noël, Joyeux Noëëël !

De longs moments c'étaient écoulés depuis la mort de Cherry et Felim. Bien installés dans leur maison avec Zoé, la petite famille menait une mort des plus tranquilles...

Un matin, alors que l'irlandais s'était levé en premier, Cherry put l'entendre brailler à travers toute la maison :

Cherry ! Zoé ! Venez voir !

Il se tenait sur le pas de la porte qu'il avait laissé grande ouverte. A l'extérieur, le sol s'était recouvert d'un épais manteau neigeux, dans lequel Fusée s'engouffra rapidement...

Pour lui offrir un réveil pareil, il fallait au moins que Mickey en personne soit venu s'installer dans leur jardin. Cherry se redressa d'un bond dans le grand lit vide, intriguée. Le silence cotonneux alentour lui mit rapidement la puce à l'oreille, et elle sauta dans un jean et un pull avant de s'approcher de la fenêtre.

Dehors, Zoé avait déjà suivi Fusée, et s'ébattait en riant dans la neige.

La neige...

Elle enfila une paire de chaussettes bien chaudes et une paire de bottes fourrées, et vint rejoindre Felim dans l'entrée, nouant ses bras autour de sa taille avec tendresse.

- Tu m'avais habituée à des réveils plus poétiques. Je ne te félicite pas.

Les habitudes, jeune fille, voilà ce qui tue un couple ! Pas de routine entre nous !

Il l'embrassa sur le front et finit par avouer :

Mais ce n'est pas de moi.

Son regard se porta alors sur la fillette qui jouait plus loin.

Zoé a du trouver comment faire apparaitre ses rêves !

- Oh mon dieu. Alors on est foutus.

Elle posa un regard horrifié sur sa fille. La maison allait être repeinte en rose, et ils n'allaient plus trouver autre chose pour se nourrir que des gâteaux au chocolat. Vivre dans le monde idéal d'une fillette de quatre ans n'était certainement pas ce qu'on pouvait imaginer de mieux.

- Pour l'instant ce n'est que de la neige... Bon. Il ne reste plus qu'à aller abattre un sapin. Tu es prêt?

Elle lui lança un large sourire, faisant contre mauvaise fortune bon coeur.

- S'il neige, c'est sûrement Noël!

L'irlandais se pencha pour lui souffler à l'oreille :

Je te préviens, je ne me déguiserai pas en Père Noël et je ne passerai pas par la cheminée !

Il se couvrit et alla chercher un sapin, avec dans ses jambes Fusée et Zoé attentifs aux moindres de ses mouvements.

Lorsqu'il revint trainant l'arbre derrière lui, une fine pellicule de sueur maculait son front et ses joues étaient rougies par le froid et l'effort.

Et je suppose que tu as mis la main sur les décorations ?

- Tu supposes bien. Nous la jouons traditionnelle, cette année: rouge, vert, et blanc. J'ai même des guirlandes lumineuses! Et l'étoile que Zoé placera sur la cime, bien entendu...

La petite fille semblait encore plus déborder d'énergie que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire. Elle avait entamé une bataille de boules de neige avec le chien, et riait aux éclats en le voyant cabrioler et tenter de les attraper au vol.

- La question est: salon ou cuisine?

Salon bien entendu, et je ferai un joli feu de bois, comme dans les films de princesse ! Mais avant ça, je vais apprendre à Zoé l'art des bonhommes de neige.

Il n'en avait pas fait souvent, l'Irlande n'étant pas réputée pour son climat enneigé, mais il saurait surement retrouver son âme d'enfant.

Après avoir embrassé Cherry, il fila à nouveau dehors tout en envoyant quelques boules de neige sur la petite Zoé.

Elle se planta les mains sur les hanches, et contempla la joyeuse assemblée, un léger sourire sur les lèvres.

- Eh bien bravo! Vous vous êtes bien amusés, j'espère, pendant que je faisais tout le travail? Et ça vous a plu, d'enneiger la maison? Continuez, pendant que vous y êtes, je vous en prie! Faites-moi donc un bonhomme de neige dans le couloir!

Le visage de Zoé s'éclaira brièvement, avant qu'elle ne réalise que sa mère ne voulait pas réellement dire ça, et qu'elle baisse la tête à nouveau, embarrassée. Cherry continua son petit jeu pendant quelques secondes encore, puis s'en lassa.

- Allez, nettoyez-moi tout ça, et on décore le sapin!

Felim et Zoé se regardèrent un instant, et partirent la mine boudeuse pour chercher de quoi nettoyer, avant d'éclater de rire une fois hors de la vue de la jeune femme.

Ils s'exécutèrent toutefois de bonne grâce, et vinrent retrouver Cherry quand ils eurent fini. Les trois s'affairaient autour du sapin, empêchant tant bien que mal Fusée de s'emmêler les pattes dans les guirlandes.

Felim prit Cherry dans ses bras quand le sapin fut décoré avant de remarquer :

Zoé, tu dois mettre l'étoile. Et nous l'allumerons après !

La petite fille s'était jalousement emparé de l'étoile depuis plusieurs minutes, de crainte qu'on ne lui ravisse la tâche qui lui revenait de droit. Elle s'approcha donc avec précaution du sapin. Cherry la souleva sur ses épaules, avec un gémissement pour ses pauvres vertèbres maltraitées.

- Mon dieu, Zoé! Tu pèses encore plus lourd que le sapin!

Après quelques manoeuvres maladroites, et en se dressant sur la pointe des pieds, Cherry parvint enfin à amener sa fille suffisamment près pour qu'elle apporte la touche finale.

- Tadaaaaaaaam! fit Zoé en écartant les bras, manquant de déséquilibrer sa mère qui la fit descendre aussitôt.

- Eh bien nous y voilà. Lumière, maestro!

Aussitôt dit, aussitôt fait, Felim brancha la guirlande lumineuse qui illumina le sapin de ses étincelles colorées quelques secondes plus tard.

Et bien Zoé, nous verrons demain matin si tu as été une petite fille bien sage et si les cadeaux sont nombreux !

L'irlandais ignorait comment, mais il était persuadé que le sol serait recouvert de présents lorsqu'ils se réveilleraient. Si le Paradis n'était pas capable de leur offrir cela, autant retourner sur Terre...

- C'est déjà demain, Noël? s'étonna Cherry tandis que Zoé jurait ses grands dieux qu'elle avait été la petite fille la plus adorable de toute la galaxie, et qu'elle était sûre d'avoir son poney.

La pilule eut du mal à passer, pour Cherry.

- UN PONEY?

Ils étaient très mal. La petite fille acquiesçait vigoureusement, et repartit sur les chapeaux de roue. Si elle avait réellement compris que ses désirs devenaient réalité, il allait falloir agrandir la maison pour y construire une écurie. Cherry se tourna vers Felim et se blottit contre lui avec un gémissement de désespoir.

- J'ai engendré un monstre. Après le poney, ce sera tout le cirque. Je veux qu'elle ait 16 ans, et qu'elle ne veuille plus rien d'autre que s'enfermer dans sa chambre en écoutant de la musique barbare.

Oui, ou réclamer sa première voiture, dépenser son argent de poche au centre commercial et fumer sa première cigarette.

Felim regarda Cherry avec bonheur et l'embrassa avec tendresse.

Je construirai une écurie s'il le faut. Mais si ta fille arrive à créer ses rêves, il n'y a pas de raison que tu ne puisses pas le faire non plus. Il suffit de le désirer très fort, que cela ne nuise ni à Zoé ni à moi, et voilà.

Ca avait l'air si simple, dit comme ça...

- Je ne pense pas qu'on puisse nuire les uns aux autres, de toute façon, mais c'est une question de principe. Si ta fille veut un poney, tu te dois de pousser des hauts cris. C'est noté dans le grand livre qu'on reçoit quand on devient parents. J'ai oublié de t'en faire une copie.

Elle perdit son regard sur le sapin illuminé.

- Je me demande combien de temps il me reste avant que tu ne crées ton pub et ta boîte de strip-tease de l'autre côté de la clairière.

Elle lui sourit, malicieuse.

Oh bien. Je me désespèrerai quand je devrais lui construire une cabane dans les arbres alors.

Par contre un pub, ça c'est une riche idée ! La Guiness coulant à flot, mes amis de l'Oglaigh, quelques filles faciles et un trait de cocaïne ! Tu es une femme formidable, Cherry !

Il ponctua sa phrase d'un grand éclat de rire avant de reprendre plus sérieusement :

Il y a surement un pub derrière une de ses portes. Pour l'instant, je n'ai nulle envie de trouver derrière laquelle. Seules ma femme et ma fille comptent.

Elle s'attendrit encore en le serrant un peu plus fort. Combien de temps cela pourrait-il encore durer? Ni l'un ni l'autre n'avait encore ressenti le besoin de pousser l'une de ses portes. Ils ne pourraient pourtant pas toujours vivre dans une bulle... Ou peut-être que si. Peut-être que le reste n'était en fait que du superflu, et qu'ils se suffiraient parfaitement à eux-mêmes pour le reste des temps.

- Je n'ai pas de cocaïne à te proposer, et de toute façon ce serait un exemple déplorable pour notre fille, mais je peux te faire du chocolat chaud, si ça te dit.

Laisses, j'y vais. Je ne veux pas que tu te transformes en parfaite petite ménagère.

Il l'embrassa sur le front et disparut dans la cuisine. Cherry put l'entendre ouvrir plusieurs placards, grogner de ne pas trouver ce qu'il voulait, avant de sentir l'odeur chocolatée lui chatouiller les narines.

Il revint une dizaine de minutes plus tard, portant sur un plateau trois tasses fumantes qu'il déposa sur la grande table du salon.

Mesdames, souhaitez-vous être servi devant la cheminée ou sur cette immense mais sinistre table ?

- Oh, j'ai cru déceler un indice dans ta voix... Je vote donc pour la cheminée.

Elle piqua un baiser dans son cou avant de partir à la poursuite de Zoé, qui cherchait vainement à enterrer le chien sous la neige. La petite fille était trempée, mais ravie. Ses yeux brillaient comme des émeraudes au milieu de son petit visage rougi. Elle batailla quelques instants pour retourner jouer, mais l'odeur du chocolat fut l'ultime argument, et elle abandonna finalement son manteau, ses moufles et son bonnet dans l'entrée pour courir auprès du feu et se jeter au cou de Felim.

Cherry, restée un peu en arrière, déplorait à voix haute les immenses flaques qui indiquaient par où Zoé était passée.

- Au moins, le Petit Poucet avait la décence d'utiliser des cailloux! C'était tout de même plus facile à nettoyer!

Zoé lança un regard complice à Felim, et pouffa de rire. Sa mère aimait se plaindre, et plus personne ne la prenait au sérieux, depuis le temps.

L'irlandais entra dans le jeu de la petite et la gronda faussement :

Vilaine Zoé, la prochaine fois, tu penseras à nettoyer après, sinon Maman Dragon va nous roussir les cheveux !

Ils éclatèrent de rire ensemble avant que Felim ne l'installa confortablement entre les coussins et posa devant elle la tasse.

Fais attention, c'est très chaud.

De la main, il invita Cherry à les rejoindre, tendant son bras pour qu'elle vienne se blottir contre lui.

Cherry ébouriffa leurs cheveux, en grondant.

- Vous êtes deux affreux monstres, et je vous déteste tous les deux!

Elle s'installa confortablement contre Felim, et saisit sa tasse de chocolat avec délectation. Elle se laissa hypnotiser par la danse sauvage des flammes, un grand sourire aux lèvres. Zoé racontait en long et en large comment elle apprendrait à faire des tours à son poney, et combien il serait intelligent. Elle apprendrait même à Fusée à monter dessus.

Au fond, Cherry n'était pas si éloignée de la vérité. On s'approchait lentement mais sûrement du cirque. Elle se contentait de ponctuer le monologue de sa fille de "Ah oui?" et de "Formidable!" sans en écouter les détails. Zoé était partie en roue libre, et rien n'arrêterait son joyeux babillage.

Felim était simplement heureux. Chaque jour qui passait le ravissait au plus haut point et il n'imaginait pas comment il pourrait encore être plus comblé.

Pendant que Zoé leur racontait ses futurs talents de dompteuse, le jeune homme souffla avec malice à l'oreille de Cherry :

N'est-ce pas l'heure de la coucher ?

Elle soupira, et répliqua sur le même ton.

- Ce n'est même pas le soir, et tu sais très bien que le soleil ne se couchera pas si elle n'est pas fatiguée.

C'était l'une des contraintes extraordinaires de leurs batailles de rêves et de désirs: tant que Zoé refusait la nuit, elle ne pouvait arriver, malgré les souhaits ardents de Felim et Cherry. Inversement, cependant, les nuits se faisaient longues, tant qu'ils ne souhaitaient pas le jour. Le tout donnait un temps curieusement distordu et chaotique, rendant chaque journée absolument unique.

Zoé avait remarqué leur manège, et s'en formalisa!

- Même pas vous m'écoutez!

L'irlandais releva la tête vers la fillette.

Si trésor nous t'écoutons. Dis moi comment tu verrais ton écurie, que je vois si c'est réalisable ou si tu me demandes un château pour poneys !

La main de l'irlandais glissa très doucement le long des cuisses de Cherry, alors que ses yeux ne quittaient pas la gamine.