Noël, Joyeux Noëëël !

Et je ne te remercierai jamais assez pour ça, Cúige Amur...

Il embrassa le doigt posé sur ses lèvres.

Tu sais, j'ai toujours pensé que ce bon vieux Marc finirait par te séduire... Il avait l'air de bien t'aimer.

Elle lui sourit avec indulgence, comme s'il venait de dire une bêtise énorme.

- Il venait de la campagne, comme moi, et ça nous avait rapproché. Mais Marc n'a jamais rien tenté, et de toute façon je ne lui en aurais pas laissé l'occasion. Il n'y a que toi qui ait été assez inconscient pour venir te frotter à mes épines...

Tes épines ? Des plumes oui ! Tu es un mignon petit chaton Milis Cherry, je te l'ai déjà dit, pas un hérisson !

Il rajouta en riant :

Et te séduire a été un jeu d'enfant ! J'ai mis quoi... Deux jours ?

Elle leva les yeux au ciel, résignée. Elle n'avait pas pu s'empêcher de lui céder, et savait que la résistance qu'elle lui avait opposée avait été bien trop maigre. Elle ne le regrettait pas, bien entendu, mais trouvait étrange le fait qu'elle se soit si peu ressemblée.

- Bien trop facile, oui. Je te soupçonne de m'avoir droguée. Je n'étais sans doute pas dans mon état normal. Et puis il faut dire aussi que tu t'es montré drôlement insistant...

Je suis têtu, ce n'est pas une nouveauté !

Il se releva pour l'embrasser et la prit contre lui pour profiter de la chaleur du corps aimé.

Combien de temps avaient-ils passé ainsi, lovés l'un contre l'autre ?

*Ellipse temporelle*

Ce fut Zoé qui mit fin à leur étreinte, réclamant sa pitance d'une voix fatiguée... Le repas fut donc préparé, avalé et la petite enfin couchée.

Felim soupira d'aise. Leur moment était enfin venu, à Cherry et lui. Alors qu'elle revenait de la chambre de l'enfant, il l'attira à lui, l'embrassa avec fièvre et la plaqua contre un mur...

Elle répondit à son baiser, mais le repoussa ensuite, souriante.

- Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette éducation? Quelle brutalité, monsieur Clancy! Vous allez ruiner mon brushing! Un peu de savoir-vivre, que diable!

Elle fit mine de se recoiffer, et descendit les escaliers d'un pas légèrement trop chaloupé pour être honnête. Et si elle balançait les hanches de cette manière, ce n'était pas imputable à l'alcool... Cela faisait des semaines (mais pouvait-on seulement parler de semaines dans cet étrange temps qui était devenu le leur?) qu'elle n'avait plus touché à une bouteille.

Elle se retourna vers lui à la moitié des escaliers.

- Tu sais ce qu'il nous faudrait? Une bonne bouteille de vin rouge et un feu de cheminée.

Je te laisse trouver le vin et je m'occupe du feu.

Quand il pénétra dans le salon, l'atmosphère lui semblait changée. Plus intime, plus calme, plus secrète que dans la journée. L'irlandais balança quelques bûches dans l'âtre et de magnifiques flammes vinrent bientôt lécher la pierre.

Des souvenirs ressurgirent alors. Il avait tant écouté les récits de son père devant un feu de cheminée qu'il lui semblait entendre sa voix. Presque en transe, Felim restait debout face au bûcher, coupé brusquement de leur réalité paradisiaque...

Quand elle revint avec une bouteille de Graves miraculeusement trouvée dans les placards aux ressources inépuisables, elle s'immobilisa sur le seuil du salon. Felim avait l'air ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, et elle craint tout à coup d'avoir gâché quelque chose en refusant l'étreinte précipitée qu'il avait souhaité. Qu'avait-elle fait naître en lui, devant ce foyer?

Elle l'observa longuement, hésitant à ce troubler cet instant différent des autres.

Elle s'avança enfin, d'un pas léger, et déposa la bouteille sur la table avant de poser une main sur son épaule.

- Felim?

Le jeune homme sursauta brusquement, et ravalant ses larmes, fit face à Cherry.

Ca va... Je pensais à mon père, c'est tout.

Derrière quelle porte se cachait-il ? L'irlandais mourait en l'instant de l'envie de le savoir, mais devrait remettre ses désirs à plus tard, et sourit à sa femme :

Tu as trouvé du vin, alors c'est parfait !

Ils s'installèrent face au feu, que Felim évitait soigneusement de regarder, pour ne contempler plus que Cherry.

A quoi trinquons-nous ?

Elle ne fit pas un geste vers les verres, préoccupée. Sa main vint saisir celle de Felim. Elle évita délibérément sa question.

- Il n'y a qu'une porte qui t'en sépare. C'est toi qui refuse de la franchir. Alors pourquoi...?

Pas ce soir Cherry. Nous avons attendu toute la journée pour nous retrouver, je ne veux pas gâcher ce moment. Donnes moi la bouteille.

Au fond de lui, la peur le submergeait entièrement. Revoir sa famille, découvrir quels étaient les morts, ce qu'ils étaient devenus, affronter son père et son jugement, revivre l'Oglaigh avec lui, c'était encore difficile...

Allez, oublions ça !

Elle secoua la tête, attristée qu'il refuse d'en parler. Quelque chose le faisait encore souffrir, malgré tout ce qui les entourait. Quelque chose qu'il refusait d'affronter.

Elle lui tendit son verre, et le leva à son attention dès qu'il l'eut rempli. Pour elle, la soirée qui s'annonçait romantique avait pris une tournure amère.

- A tout ce qu'on décide de manquer, alors.

Il y avait une tristesse dans sa voix, une inquiétude pour le choix qu'il faisait. Elle ignorait si c'était le bon, et n'avait aucun moyen de le faire parler s'il se retranchait en lui-même.

Il la regarda avec tendresse et lui caressa la joue.

Ne t'en fais pas. Il me faut un peu de temps, c'est tout.

Il se pencha pour l'embrasser dans le cou puis dégusta le vin, avant de s'exclamer joyeusement :

Délicieux ! Tout comme toi !

Le silence de Cherry lui perça l'âme. Plus que ses souvenirs douloureux, l'expression triste de celle qu'il aimait le torturait. Peut-être avait-elle raison, peut-être était-il temps qu'il franchisse le pas, qu'il retrouve les siens...

On fêtait toujours le lendemain de Noël avec toute la famille. Les cousins, les oncles, tout le monde. Peut-être que nous pourrions faire de même après-demain, le temps que nous nous remettions de l'arrivée du poney.

Il trempa ses lèvres dans le vin, pour se donner un peu de courage. Il ne pourrait pas franchir seul cette étape, et si Cherry lui refusait, alors jamais il ne reverrait ses parents....

Elle lui jeta un regard méfiant. Etait-ce une façon de la réconforter ce soir, pour mieux changer d'avis par la suite? Il n'était pas coutumier de ce genre d'attitude. Sa main chercha la sienne, et la pressa, comme pour lui transmettre un peu de réconfort.

- J'en serais ravie, et je pense que ça te ferait beaucoup de bien. Je ne comprends juste pas... de quoi tu as peur.

Rencontrer ma famille, signifie rencontrer des morts... Je n'ai connu que les décès de mon père et d'un de mes frères. S'ils sont tous là...

L'irlandais soupira. Ils étaient surement heureux, comme Cherry et lui. Mais qu'avaient-ils connus avant ? Quelle mort leur avait-été offerte ? Cela, le jeune homme n'était pas prêt à le savoir...

Et puis il y a l'Oglaigh. Mon père était l'un des leaders. J'ai tenté de suivre son modèle, mais je n'ai jamais été à sa hauteur. J'ai peur de lire la déception dans ses yeux... C'était un homme merveilleux, à tout point de vue. Je ne suis rien à côté.

Il serra un peu plus fort la main de Cherry.

Elle acquiesça, et poursuivit d'une voix douce.

- Et tu crois vraiment que c'est de la déception que tu liras dans ses yeux, plutôt que le bonheur d'avoir retrouvé son fils? De toute façon, nous serons rapidement fixé...

Elle réfléchit quelques instants avant de formuler sa pensée.

- Personne, aucun membre de nos familles, n'est venu nous voir ici. Pourtant une porte a dû apparaître pour eux aussi. Alors je me demande... Je crois que si nous ne le voulons pas - et nous ne le voulions pas, pas vrai? - si nous ne le voulons pas, personne ne peut franchir notre porte. Ce qui implique que si ton père ne veut pas te voir, nous ne pourrons pas entrer. C'est aussi simple que cela. Et sans le connaître, Felim, je sais que cela n'arrivera pas.

Elle s'approcha de lui, et posa son front sur le sien.

- Les choses ont changé. Nos priorités ne sont plus les mêmes. Je ne crois pas qu'on puisse mesurer ta valeur au nombre d'anglais que tu as égorgé, Felim. Quelle que soit la vie que vous avez menée avant.

Il l'embrassa avec douceur.

Tu as raison. Ils t'adoreront, j'en suis certain. Et Zoé aussi. Même si mon père demandera surement en plaisantant quand je compte poursuivre la lignée Clancy !

L'irlandais chercha ses lèvres une nouvelle fois.

Dans deux jours alors, j'essaierai. Nous essayerons. Et tu pourras raconter à quel point je suis un mari merveilleux, à défaut d'être un terrible exterminateur !

- Je ne les connais même pas, et tu me demandes déjà de leur mentir?

Elle plaqua ses lèvres sur les siennes pour l'empêcher de protester, espérant secrètement lui avoir apporté suffisamment de réconfort. Les relations familiales étaient souvent tendues de son côté également, mais elle n'avait jamais mis en doute l'amour de ses parents. Ils aimaient simplement hurler et se plaindre... Elle ne s'y était jamais vraiment faite, mais avait le sentiment que ce serait possible, à présent. Les choses avaient changé... Elle l'avait dit.