Jack the Ripper

Pourquoi Cassiopée ? J'aime ce nom. Je trouve qu'il sonne bien. Qu'il est joli.

Et puis... C'est une constellation qui m'a accompagnée de nombreuses nuits. Elle m'a dirigée mainte fois quand j'avançais dans nos forêts sombres. C'est elle que j'observais lorsque je n'arrivais pas à dormir.

C'était peut-être un signe. J'aimais déjà Cassiopée avant de te connaitre.

Il l'a prit alors dans ses bras, comme pour la consoler des souvenirs qui refaisaient surface et lui offrit son verre, avec un sourire entendu...

Elle l'accepta avec gratitude, et le laissa se réchauffer quelques instants entre ses mains tandis qu'elle s'abandonnait à l'étreinte de Felim.

- Les constellations ne sont pas que des étoiles, ce sont des histoires gravées dans le ciel afin que personne ne les oublie.

Elle trempa ses lèvres dans le rhum, et reprit.

- Cassiopée était belle, très belle. Andromède, sa fille, l'était aussi. Tellement que Cassiopée s'en faisait orgueil, et proclama que personne ne les valait, pas même les nymphes de l'eau. Les Néréides l'entendirent, et entrèrent dans une rage folle, pressant Poséidon leur père de venger ces propos. Pour apaiser la colère du dieu, Cassiopée consulta l'oracle, qui lui apprit que seul le sacrifice de sa fille la sauverait... Alors, elle choisit de l'enchaîner à un rocher, en pleine mer, livrée à la voracité de la terrible baleine. Bon, Andromède fut sauvée par Persée, et tout finit bien pour elle, mais Cassiopée fut condamnée par les dieux à figurer au ciel pour l'éternité.

Une autre gorgée, douce et chaude.

- A jamais, elle tourne autour de l'étoile du Nord. Sa constellation la représente, assise sur son trône... Quand le M devient un W, chaque fois, Cassiopée tombe de son trône, plus durement que la fois précédente, pour rappeler ses méfaits. Elle ne mérite pas qu'on l'aime, Felim.

D'un geste brusque, elle vida le verre. Elle sentit l'alcool exploser en elle comme un feu d'artifice. Un peu de joie dans ce monde...

Etait-ce son imagination à lui ou faisait-elle référence à sa propre histoire ? Toujours fut-il que l'irlandais la serra un peu plus contre lui, déposant un doux baiser dans son cou. Il changea de sujet, pour détendre un peu l'atmosphère.

Est-ce que ça te dirait de danser ?

Elle avait déjà ouvert la bouche pour refuser quand elle se ravisa. Elle lui refusait déjà tout: elle avait peur de l'eau, elle ne faisait pas l'amour, elle ne lui faisait pas pleinement confiance... Et maintenant, ne pas danser? Elle ne méritait certainement pas les efforts qu'il faisait pour elle. Elle lui devait bien ça, si ça pouvait lui faire plaisir...

- Je suis une très piètre danseuse... Souffla-t-elle comme un secret, s'abandonnant un peu plus contre lui, prête à le suivre au premier mouvement qu'il ferait.

Il se releva et lui tendit une main pour l'aider. Il la prit contre lui, sa main endolorie posée doucement sur son dos, l'autre tenant sa main pour la guider. Il se mit à chantonner très doucement :

J'ai trouvé ce matin dans mon coeur, un p'tit truc, une drôle de douleur. Qui m'disait tout est d'or, tout est d'or quand tu dors, tout est d'or quand tu dors...

Ils progressaient lentement, au rythme de la chanson qu'il murmurait :

Une mandarine lissait ses ailes, dans un tout petit coin de ciel, beau comme un Solex écrabouillé, flocon de neige en été, flocon de neige en été...

Une plume. Il tenait dans ses bras une plume. Légère, brillante, douce, inaccessible.
Ils ne faisaient qu'un, mêlant leurs corps sur un rythme presque irréel. La communion qu'il ressentait le fit vibrer...

Mais comment faire le bien, comment trouver la chute. Comment ferons-nous demain, si tu m'exécutes...

Sa voix s'éteignit dans un souffle. Il lâcha sa main et vint plaquer la sienne sur la nuque de Cherry pour l'embrasser. Sa respiration était brûlante, comme sa peau. Le feu qui crépitait donnait aux cheveux de la jeune femme des reflets roux et dorés dont lesquels il se laissait consumer. Elle n'était pas belle, elle était au-delà de tout ce qu'il pouvait exprimer. Si l'amour rendait aveugle, il acceptait de se faire crever les yeux sur le champ...

La main de Cherry posée sur son torse lui fit l'effet d'un électrochoc. Que faisait-il ? Encore ces foutues pulsions, qu'il ne pouvait réfréner, qu'il l'incitaient à vouloir plus d'elle, quand bien même elle l'avait avertie qu'elle ne pourrait pas.

Il devait y mettre un terme. Arrêter maintenant avant qu'il ne soit trop tard. Avant que la frustration s'installe et que l'envie soit telle qu'il aurait honte qu'elle le voit. Bordel, ne pouvait-il pas attendre plus de deux jours ? Ne pouvait-il pas patienter, comme il l'avait dit, sagement et attendre qu'elle vienne le chercher ? Devait-il absolument lui faire l'amour ? N'y avait-il pas d'autres échappatoires dans une relation ?

Mais elle était si désirable. Son esprit s'affolait. Que faire, que dire ? Pourquoi était-ce d'un coup si compliqué ?

Avec lenteur et regret, il se sépara d'elle. Il affronta son regard pour lui dire d'une voix douce :

Allons nous coucher. Cela vaudra mieux, pour toi, et pour moi.

Aucun reproche dans sa voix. Bien au contraire. il n'était qu'amour et compréhension face à elle, même si ces deux sentiments torturaient son corps...

Elle ne comprit pas, tout d'abord, pourquoi il se séparait d'elle. Son regard affolé semblait l'implorer. Puis ses mots semblèrent résonner à l'infini dans l'air de la nuit. Douche froide. Il ne l'en croyait pas capable. Il la renvoyait face à son inutilité, à son statut d'intouchable. Cherry-la-frigide. Pas la peine de se donner trop de mal avec elle, ça ne servirait à rien.

Elle protesta intérieurement avec vigueur. C'était exactement ce qu'elle lui avait demandé, il ne faisait que la respecter, ce n'était rien d'autre que cela! Elle ne voulait pas se donner le temps de réfléchir, surtout ne pas risquer de retomber. Mais il y avait ce risque... Peut-être n'était-il pas prêt pour ça?

Le regard qu'elle lui jeta était suppliant, et elle ne put retenir le gémissement de frustration qui lui brûlait les lèvres. Que faire maintenant? L'écouter? Renoncer? Son envie de lui se lisait dans le moindre de ses gestes. Elle secoua la tête avec rage.

- Non...

Ce n'était qu'un murmure avant qu'elle ne se pende à son cou et cherche sa bouche à nouveau, dans un bel élan d'égoïsme.